Voici enfin deux extraits de mon roman à paraître. (très bientôt!) Bonne lecture!
Chapitre 1
2 mai 2018, auberge de jeunesse Steel House Copenhagen
La ville dĂ©gageait un calme bienfaisant; bien que les rues soient remplies de touristes et d’habitants, tous semblaient prendre leur temps.
Je l’avais convoitĂ©e, cette citĂ© enveloppĂ©e de l’enchantement du conteur Hans Christian Anderson, dont j’avais visitĂ© le musĂ©e en tout premier lieu, Ă peine avais-je mis les pieds sur le sol danois.
C’Ă©tait le deuxième jour de mon pĂ©riple, et la pluie annoncĂ©e par les mĂ©tĂ©orologues depuis lundi Ă©tait enfin arrivĂ©e.
Je m’Ă©tais levĂ©e Ă l’aube, avais pliĂ© ma couverture et remis en place mon coussin, en prenant garde Ă ne pas me cogner la tĂŞte contre les barreaux du haut. Cela m’Ă©tait arrivĂ© souvent dans le passĂ© quand, Ă©tourdie par la fatigue, je me redressais un peu trop vite après l’histoire du soir et le câlin obligatoire. Je m’Ă©tais alors demandĂ© brièvement s’il y aurait encore des Ă©treintes, ou si j’avais perdu Ă jamais le droit d’enlacer un petit corps, de sentir près de moi la chaleur qui irradiait, au point de m’inonder.
Dans le couloir, un groupe de nymphettes, des Lolita Ă la conquĂŞte du monde, armĂ©es de leur jeunesse et de leur beautĂ©. Elles bavardaient, leur conversation en anglais semblait dĂ©nuĂ©e de contenu, ce qui comptait c’Ă©tait d’ĂŞtre vues : l’effet de groupe faisait mouche, on ne pouvait pas passer Ă cĂ´tĂ© sans au moins tourner la tĂŞte dans leur direction. Des gloussements dĂ©sagrĂ©ables Ă entendre pour quiconque avait Ă©tĂ© au moins une fois dans sa vie victime de harcèlement. On n’est jamais trop sĂ»r si les hyènes se moquent de nous, ces reines arrogantes et dĂ©daigneuses de tout ce qui n’est pas Ă la hauteur de leurs charmes.
J’avais embarquĂ© avec un sentiment de surrĂ©el sur le bateau pour rejoindre la petite sirène. Contrairement Ă l’auberge de jeunesse, oĂą les trentenaires perdues de mon espèce se faisaient plutĂ´t rares, les passagers du bateau Ă©taient plus âgĂ©s que moi, des retraitĂ©s, en grande partie.
Sans doute avaient-ils eu des enfants, puis des petits-enfants qu’ils gardaient toujours le mercredi hors des vacances scolaires. Des personnes respectables aux tempes grisonnantes, aux rides dans lesquelles on lisait beaucoup de vĂ©cu.
Ils avaient sûrement mérité cette escapade, eux.
Quelques personnes papotaient allègrement, comme on le fait quand il n’y a pas de dĂ©lais Ă respecter, pas d’horaires, pas de contraintes. Leurs regards allaient vers le large. On avait beau naviguer sur un fleuve aux dimensions bien dĂ©limitĂ©es, la sensation qui se dĂ©gageait, cet « ici et maintenant », Ă©tait celle d’un horizon qui se dĂ©roulait Ă l’infini, aux confins du monde.
La voilĂ devant nos yeux, la petite sirène, presque dĂ©cevante tellement elle Ă©tait petite…et pourtant je la trouvai majestueuse, bouleversante, et je n’aurais su dire dans quelle mesure mon impression Ă©tait complètement subjective. Elle trĂ´nait, minuscule, certes, mais imposante Ă mes yeux comme une invitation Ă la fĂ©Ă©rie. Ce qui remontait en moi c’Ă©taient des soirĂ©es pijama lors desquelles de petits pieds s’entremĂŞlaient, des fou-rire fusaient et oĂą la tendresse nous rĂ©chauffait tous bien plus qu’une couverture polaire. OĂą je songeais combien j’avais de chance tout de mĂŞme d’avoir donnĂ© naissance Ă la moitiĂ© des membres de ma famille. Je leur racontais mes contes et histoires pour enfants prĂ©fĂ©rĂ©s (Le monde de Narnia, Le jardin secret, La chèvre de Monsieur Seguin) et sur le mur on pouvait voir une affiche de Peter Pan, Wendy et la fĂ©e clochette qui s’envolaient en direction de la fenĂŞtre.
« S’envoler, c’est important. »
Un nœud dans la gorge. Difficulté à respirer.
Comme on plisse les yeux pour voir flou exprès, je mis en plis mes oreilles afin de brouiller les bruits parasites et que j’entende soudain des voix claires se confondant avec le clapotis de l’eau, qui appelaient, qui m’appelaient.
Maman, j’ai soif !
Tu es jolie dans ta robe, maman. Maman, je peux mettre une robe pour dormir ?
La vibration de mon tĂ©lĂ©phone me mit en Ă©tat d’alerte. C’Ă©tait systĂ©matique : les sollicitations du monde extĂ©rieur Ă©taient sources de stress, toujours. Camille. Un mĂ©lange de soulagement et de malaise. A peine eus-je dĂ©crochĂ© que la voix claire de Camille rĂ©sonna dans mon oreille : « Alors comment ça se passe ? Tu ne regrettes pas ? Remarque, je t’envie un peu…je sors tout juste d’une leçon de piano doublĂ©e d’un traitĂ© de paix- autant te dire qu’une escapade serait la bienvenue ! »
(...)
La pluie qui avait commencĂ© Ă tomber dès l’embarquement avait sĂ»rement aidĂ©.
La veille, un grand soleil avait rĂ©chauffĂ© la ville et sans surprise la mĂ©lancolie m’avait rapidement gagnĂ©e. Cela arrivait souvent, quand les adoratrices du soleil et les lĂ©zards se rĂ©jouissaient, mes pensĂ©es invariablement s’assombrissaient.
Ce jour-lĂ , en revanche, je coinçai une mèche humide derrière mon oreille et fermai les yeux juste assez longtemps pour inspirer l’air frais. J’avais toujours eu cette manie de me concentrer sur un sens Ă la fois, comme si on ne pouvait sentir un parfum que si on Ă©tait aveugle et sourd.
Sous les gouttes qui grossissaient et qui commençaient à tremper mon cuir chevelu et à ruisseler sur mon imperméable de printemps, je me sentais revivre.
Aussi longtemps que je me souvienne, j’avais toujours adorĂ© la pluie.
En plus de ce penchant tout naturel pour l’eau qui tombe du ciel, des associations positives s’Ă©taient formĂ©es dans mon cerveau avec le temps : la pluie battante le jour oĂą j’avais dĂ©couvert mes rĂ©sultats d’examen placardĂ©s sur la porte de mon lycĂ©e - mention très bien ; les premières petites gouttes senties sur ma peau le jour de mon premier baiser- son aftershave et l’odeur de chewing-gum Ă la fraise avaient fortement contribuĂ© aux sensations fortes de mon moi adolescente. Enfin les flaques d’eau qui s’Ă©taient mĂŞlĂ©es Ă mes pas sur le sol lorsqu’Ă©tudiante j’avais entrepris mes premières aventures dans Paris, le cĹ“ur battant.
Le prĂ©tendu beau temps quant Ă lui avait souvent servi d’arrière-plan Ă des intempĂ©ries d’un autre ordre: Je m’Ă©tais rendue compte que mon mari ne m’aimait plus (ne m’avait peut-ĂŞtre jamais aimĂ©e) alors que nous Ă©tions sur une terrasse en plein soleil (plus de place Ă l’ombre) lors d’un rendez-vous galant qui s’Ă©tait avĂ©rĂ© plutĂ´t sinistre.
Bref, la météo grisâtre ne me faisait pas peur.
La pluie c’Ă©taient des gouttelettes rĂ©confortantes, une compassion diluvienne apportĂ©e par les cieux. Dans l’Ă©gocentrisme propre aux enfants je voyais la Terre comme tournant autour de moi – le centre de l’univers – et je pensais que les flots se dĂ©versaient pour consoler mes petits et grands chagrins, pour sĂ©cher mes larmes.
DĂ©sormais, mon Ă©gocentrisme infantile s’Ă©tait muĂ© en l’Ă©goĂŻsme d’une maman incapable de dĂ©passer l’impossibilitĂ© de la tâche qui lui avait Ă©tĂ© imposĂ©e.
VoilĂ que je logeais dans une auberge de jeunesse comme les Ă©tudiants et je l’avais fait, ce que beaucoup annoncent, menacent de faire : J’avais tout plaquĂ©.
Venant de moi, ce n’Ă©tait pas si Ă©tonnant. J’aimais mettre un terme aux choses, depuis toujours. Les gens autour de moi semblaient déçus si souvent quand quelque chose prenait fin, « rien ne dure, hĂ©las » s’exprimait-t-on souvent avec un soupir. Et moi de me dire, Ă chaque fois, « encore heureux !». Que ce soient les colonies de vacances, les petits jobs, une journĂ©e fĂ©Ă©rique, quelle que soit l’expĂ©rience que j’Ă©tais en train de vivre, qu’elle soit rĂ©jouissante ou barbante, j’aimais toujours tourner la page. Surtout quand il s’agissait de relations.
A quelques exceptions près (Camille en faisait partie) toutes les relations que j’avais entretenues, celles qui s’Ă©taient distendues puis interrompues, celles qui avaient repris après un intermezzo bref ou prolongĂ©… c’Ă©taient des intervalles, marquĂ©s dans mon cerveau au stabilo, des lignes plus ou moins courtes, mais aucune ne tendait vers l’infini. Quelques-unes continuaient Ă vivoter Ă petit feu Ă©taient fragiles et risquaient de s’effriter, elles aussi, avec le temps. La dette affective, les souvenirs communs, la compatibilitĂ© des personnalitĂ©s… rien de tout cela ne semblait garantir la longue vie d’une relation – et je n’Ă©tais pas sĂ»re d’en ĂŞtre déçue.
La maternitĂ© seule Ă©tait un contrat Ă durĂ©e indĂ©terminĂ©e – et cette pensĂ©e me fichait la frousse.
Peut-ĂŞtre aurais-je dĂ» m’en rĂ©jouir, me dire que si j’Ă©tais maman, c’Ă©tait pour de bon – aucun lien d’amitiĂ© ou mĂŞme d’amour nepourrait arriver Ă la cheville de la soliditĂ© de ce qui me liait Ă mes enfants. Or au lieu de la joie, je ressentais un cafard irrĂ©pressible et de plus en plus manifeste.
Dès le premier jour, le fait d’avoir eu des enfants m’avait fait perdre le fil de ma propre vie, comme si le jour de la naissance de mon aĂ®nĂ©, quelqu’un avait soufflĂ© les bougies dans une maison privĂ©e d’Ă©lectricitĂ©, sans laisser d’allumettes nulle part.
Individu qui aime la pluie, l’observation des gouttes qui descendent le long des vitres.