J'ai toujours associé l'idée de la fragilité à une image de verre cassé. Cela vient peut-être de la fascination que j'ai éprouvée, étudiante, pour la Ménagerie de verre de Tennessee Williams. Toujours est-il que pour moi le verre cassé représente les fissures que la vie amène, les éclats de verre les drames de la vie, et puis un certian soulagement lorsqu'un verre se brise et que la cassure fait écho à une blessure intérieure.
Il ne viendrait jamais à l'idée de personne de priver un patient souffrant de diabète de son insuline. Lorsqu'en revanche le mal qui nous ronge s'appelle dépression, anxiété, ou encore burn out, la compassion peut laisser la place à l'incompréhension, le tabou bloque les confidences, un certain malaise s'installe.
On ne choisit pas de souffrir de troubles mentaux tout comme on ne choisit pas ses maladies physiques. Se sentir fragile, vulnérable, crouler sous la pression... ce n'est pas quelque chose dont on devrait avoir honte.
Depuis des années je souffre d'attaques de panique, de crises d'angoisse. Je n'en parle pas, ou très peu. C'est un sujet tabou, toujours, et pourtant c'est un mal qui touche une grande quantité de personnes. De personnes qui souffrent en silence car fonctionner est un maître-mot dans notre société. On ne sait pas trop d'où vient cet impératif ou qui nous l'a imposé, mais il est évident que (dans le monde professionnel comme dans la vie en société en général) on n'a pas le droit de tomber en panne.
Or les blessures de l'enfance, les traumatismes, la mort d'un proche, une fausse-couche...peuvent nous fragiliser. Et si c'est le cas on est en droit de s'occuper de soi autant qu'on en a besoin. Sans devoir se justifier.
Avec les années on prend tellement l'habitude de donner le change qu'on arrive à un point où même si on disait en face à un proche: "A l'aide, je suis en train de couler, je n'en peux plus!" Il nous dirait: "Mais tu assures très bien, ça se voit, pas de problème." au moment même où vous êtes prêt(e) à avouer que vous n'êtes pas aussi forte que vous avez laissé paraître. au moment précis où vous êtes finalement prêts à demander de l'aide, malgré la honte, malgré la peur de la stigmatisation.
Je voulais dans cet article donner un exemple de fragilité mentale qui devrait être pris au sérieux et dont beaucoup de personnes (de femmes, en l'occurence) n'osent pas parler autour de soi. Il s'agit de la dépression postnatale qui, à l'inverse du babyblues dont il est désormais possible de parler, frise toujours le tabou. Le babyblues (ces premières journées de nouvelle maman débordée, émotive, qui ne dort pas assez et pleure pour un rien) est accepté et même considéré comme commun - ce qu'il a de rassurant, c'est qu'il ne dérange pas trop, qu'il passe en général en l'espace de quelques jours ou de quelques semaines, et qu'on peut en parler sans gêne, puisqu'ensuite, la vie peut continuer sans trop d'encombres.
La dépression postnatale quant à elle est beaucoup moins la bienvenue dans les discussions, elle arrive de manière plus insidieuse, et plus tard (chez moi 2-3 mois après la naissance de mon premier bébé), quand l'excitation du début est retombée, le bébé n'est plus "nouveau", vous êtes censée avoir trouvé votre rôle de maman et juste avancer, jour après jour...et là un jour, vous vous réveillez, et vous n'avez plus goût à rien. Les larmes du babyblues seraient les bienvenues à ce moment-là, mais vous n'arrivez même pas à pleurer. Tout vous indiffère. Vous êtes là sans être là. Vous vous promenez la tête dans un nuage noir dont vous n'arrivez pas à sortir. Les gens bien-intentionnés vous disent de faire quelque chose qui vous fait plaisir, lire un livre, regarder une série...mais justement, plus rien ne vous attire. Mettre un pied devant l'autre, s'occuper de votre bébé...tout se transforme en tâche monumentale.
La bonne nouvelle, c'est qu'un jour, vous vous réveillez et "ça va" (comme dans la chanson de Rose). Vous ne pouvez pas l'expliquer, mais lentement, vous commencez de nouveau à voir des couleurs autour de vous, à vous intéresser à votre entourage, à vous émerveiller VRAIMENT de votre bébé. Vous remarquez que les rideaux de la chambre de la petite sont roses-ça faisait longtemps que vous ne l'aviez pas relevé. Et vous vous surprenez à penser "je vais bien, bébé va bien, tout va bien." Et c'est à partir de là que tout va mieux, un petit peu plus de jour en jour.
La dépression postnatale n'est qu'un exemple spécifique parmi tant d'autres de troubles mentaux qui peuvent nous atteindre. A vrai dire, personne n'est à l'abri. Et voilà pourquoi personne ne devrait faire la sourde oreille ou faire preuve d'incompréhension. Il devrait être possible de parler d'anxiété et de panique, de partager sa fragilité - pour être soutenu, c'est certain, mais aussi pour que le jour où notre interlocuteur y sera confronté à son tour, le jour où ce sera lui qui portera un sac à dos bien trop lourd et devra combattre des fantômes, il trouvera un appui dans le fait qu'il saura que nous pouvons tous nous retrouver fragiles, un jour ou l'autre.
Un magnifique article et si vrai. Et ton image est parfaite. Le verre est un des matériaux les plus solides et les plus fragiles à la fois, tout dépend comment on le prend...
RépondreSupprimerMerci beaucoup, Adrika! Ton commentaire me fait super plaisir. J'espère que tu vas bien, toi!
Supprimer