"Vous serez UN PEU moins nuls!" ou le stage pédagogique au Luxembourg

Pour vous donner une idée de ce à quoi ressemble le stage pédagogique (qui forme les futurs enseignants) au Luxembourg, je pourrais vous dire combien d’entre les stagiaires se dopent aux antidépresseurs. Ou alors vous décrire les queues qui se formaient devant les distributeurs à friandises, alors que nous essayions de remonter avec du sucre notre moral qui était au plus bas.

Mais pour vous peindre un tableau un peu plus personnalisé, je vous dirai comment je me suis sentie, moi, durant ma formation. Plus précisément, j’aimerais diriger le faisceau de lumière sur une année en particulier, ma deuxième, celle durant laquelle j’ai failli jeter l’éponge. On m’avait attribué un tuteur. Tuteur, c’est un mot qui peut selon les circonstances signifier ‘accompagnateur’, ‘guide’ ou encore ‘critique constructif’ mais qui, dans ce cas-ci voulait plutôt dire ‘tortionnaire’, ‘démoralisateur’ ou ‘tête à claques’.  Je me sentais en mal de protection, minuscule, mise à nu, sans rempart derrière lequel me réfugier. En fait, j’étais juste moi, et d’après cette personne pétrie de venin, ce moi ne valait pas le détour. J’étais en train de me faire détruire dans les règles de l’art et j’étais témoin passif de mon propre sabotage. Le saboteur était odieux, quant à moi, j’étais minable parce que je ne sortais pas mes griffes, parce que j’oubliais que j’en avais.

Le premier jour de formation, mon crayon affûté, l’esprit curieux et prêt à recueillir la sagesse dont j’allais bénéficier et dont j’avais bien besoin, bonne élève comme d’habitude, j’étais assise dans un large amphi rempli d’apprentis-enseignants.

J’étais toute ouïe et remplie du zèle de tous les débuts, voilà pourquoi j’ai failli noter dans mon cahier la phrase suivante : « Au début de votre stage, vous êtes tous nuls. Au bout de votre formation, si vous progressez, vous serez un peu moins nuls. » J’ai enregistré mentalement, comme l’ont fait tous les autres nuls en même temps que moi.

Enseigner ressemblait à une porte sans clé, ou alors un labyrinthe sans issue, et pourtant chaque tuteur, mentor et formateur (à quelques exceptions près) nous donnait l’impression qu’il détenait un précieux sésame et que celui-ci était hors de notre portée. Tout en affirmant, bien sûr, « qu’il n’y avait pas de recette miracle »

On nous transmettait toujours vaguement l’idée que « ce n’était pas ça » A chaque débriefing reçu suite à un cours donné à une classe, en présence d’un observateur, on rentrait chez soi bredouille. Qu’aurait-il fallu faire mieux ? Tout. Comment faudrait-il s’y prendre ? Différemment. Etait-il possible d’assister à l’un des cours de l’observateur qui, dans sa double fonction d’enseignant et de formateur de futurs enseignants, serait un modèle pratique pour la débutante que j’étais ? Non, le cours que mon tuteur avait prévu ce jour-là était trop décousu, cela ne ferait que m’embrouiller, avec cette classe-là, ce ne serait pas une bonne idée, puis de toute façon, il fallait que j’apprenne à faire cours moi, seule. Comment fait-on un cours alors ? Eh bien on le FAIT. Et « pas comme cela ». Et il faudrait que j’arrête de dire « ok ». C’est de l’anglais et je suis censée vouloir devenir professeur de français.

Un nouvel entretien avec mon tuteur. Je m’assis, les mains moites, le cœur battant, un flottement s’opérant dans ma tête. Je pouvais m’être levée avec les idées claires ce matin-là, avoir bien dormi (ce qui n’arrivait pas souvent), eu un bon contact avec mes élèves-cela n’y changeait rien : une fois installée à cette table de la conférence des professeurs, les lignes s’estompèrent je n’arrivais plus à réfléchir. C’était comme si mon cerveau avait pris l’eau, mes pensées voguaient par-ci par-là, perdues comme moi.

Longtemps après que j’avais terminé cette traversée du désert qu’on appelle «stage pédagogique », des bribes de sens commençaient tout doucement à émerger, éparses  mais bien visibles. Cela pouvait se passer un jour ensoleillé où je me sentais bien, vraiment bien, et où je me dis : Tiens, mais quelles conneries on a pu nous sortir !

Cela me frappa aussi le jour où je décidai de me libérer d’un poids et de jeter absolument tout ce qui avait rapport au stage. Je me souvenais de phrases, de discours, de conseils et réprimandes, et tout ce que je pouvais entendre, c’était beaucoup de langue de bois, énormément de fais comme je dis mais ne fais pas comme je fais, et une longue, très longue, série d’humiliations qui après coup ne trouvaient aucune justification.

Ces moments de révélation pouvaient avoir lieu après une bonne douche, en vacances à la mer ou alors pendant que je faisais les courses et qu’une association assez arbitraire d’idées me ramenait au stage en pensée. Ils pouvaient surgir n’importe quand et m’apporter une pièce du puzzle à posteriori.

Parce qu’il faut que je vous le dise, le secret de l’enseignement, depuis, je l’ai percé. Et si j’avais été au courant, tout ce temps en arrière, je n’aurais pas eu si peur. Je ne me serais pas fait toute petite devant eux, si grands.

Le secret, c’est qu’il n y a pas de secret. Derrière la fumée qui se dissipe, alors que j’ai brûlé une bonne partie des papiers relatifs au stage pédagogique, il n’y a pas de grande découverte, pas non plus de hiérarchie selon laquelle ce sont eux les gourous et nous les intouchables. Il y a…des élèves, au contact de qui on apprend au quotidien, qui nous aident à rester modestes, à savoir que l’enseignant parfait, cela n’existe pas. Il n’y a aucun enseignant qui peut se vanter de ce nom. Même pas mon tuteur, cet adversaire des anglicismes et de la bienveillance.

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