Nous vivons dans un monde où souvent les phénomènes et les personnes ne sont pas ce qu'ils semblent être au prime abord. Et si ce que je viens d'écrire est un cliché fini, c'est pour montrer d'autant mieux que nous avons tendance à rejeter de suite ce qui nous semble familier pour nous tourner vers quelque chose de nouveau. Ainsi quand vous entendez parler de féminisme, de me-too, d'oppression de la femme, d'inégalités entre les sexes... vous avez peut-être un haussement d'épaule, une grimace, ou même un haut-le-coeur. Vieille chanson, vieille rengaine, on connaît, merci.
Mais justement, ce n'est pas si simple.
En effet, il serait confortable et rassurant de penser - surtout pour ceux qui veulent clore le débat et passer à autre chose - que si on parle autant de la libération de la femme aujourd'hui, c'est qu'elle doit être, de fait, libérée. On voit émerger de partout des exemples glorieux de prise de pouvoir féminine et tout semble bien parti pour que dans les décennies à venir les droits soient répartis de façon plus égalitaire entre les deux sexes.
Il se trouve que ce qu'on clame haut et fort peut nous rendre aveugles face à ce qui se passe certes devant nos yeux, mais de façon sournoise.
Récemment Jameela Jamil, actrice incarnant Tahani dans la série The Good Place, prend la parole en public pour s'insurger contre la façon dont les femmes sont toujours représentées, et les critères selon lesquels leur valeur est toujours et encore estimée.
Elle a créé I WEIGH, un mouvement Instagram qui encourage les femmes à indiquer ce que pèsent leurs accomplissements, leurs relations, leurs talents etc. En gros, elle demande aux femmes de choisir elles-mêmes leur façon de se (re)présenter, de se valoriser. Pour faire comprendre à toutes qu'un chiffre sur la balance n'est pas ce qui les définit.
L'idée du mouvement I WEIGH est venue à Jameela en voyant dans un magazine un tas de femmes d'affaires dont l'image était accompagnée d'un chiffre pour chacune d'elles - le chiffre d'affaires de leur business, peut-être? non, non, il s'agissait bien de leur poids. Impensable s'il s'était agi d'hommes d'affaire, non?
Parler d'obsession de la minceur, et d'un monde où l'apparence physique, surtout féminine, c'est ce qui compte, n'est certes pas un sujet nouveau. Le sujet de la beauté et de la pression exercée sur les femmes en particulier m'intéresse depuis longtemps, et pourtant, les points soulevés par l'actrice prennent une résonance un peu différente, un angle légèrement décalé.
En effet, cette jeune femme ne fait rien comme les autres. Car faire entendre sa voix avec authenticité et franchise, cela veut dire aussi ne pas avoir froid aux yeux, ne pas craindre les représailles de ceux qui jouent dans la cour des grands. Comme le clan Kardashian.
Régulièrement, Jameela interpelle les figures féminines influentes qui continuent à faire passer un message dangereux et mensonger aux autres femmes. Pire, en leur vendant des thés minceur et autres charlataneries, des produits d'amincissement potentiellement dangereux en faisant croire à leurs fans que si elles consomment ces produits, elles vont avoir une chance d'être minces comme elles.
Le message qui apparaît au surligneur dans le discours de Jameela sur les réseaux sociaux, c'est: Ne mesurez pas les autres à des standards de beauté que vous-mêmes n'atteignez que grâce à photoshop, un personal trainer, la chirurgie esthétique, et j'en passe. Ces femmes influentes disposent d'une plate-forme qu'elles pourraient utiliser pour des bonnes causes mais elles en usent et en abusent et exercent sur les jeunes filles qui les suivent une pression telle que celles-ci finissent par avoir honte de ne pas y arriver, c'est-à -dire de ne pas trouver dans le miroir ce que les réseaux sociaux leur présentent comme idéal.
C'est la participation de certaines femmes au paternalisme qui constitue un grand problème. Surtout si elles agissent avec une hypocrisie désolante et en se faisant, en apparence, le porte-parole de la force féminine. Si "soyons fortes ensemble!" se transforme en "sois mince comme moi et tu seras heureuse!", on nuit gravement à la cause de la libération féminine et on contribue à enfermer les femmes dans des attentes et des idéaux de beauté irréalistes. Et puis, le fait même de propager autant l'importance de l'apparence physique chez une femme (plus que son caractère, ses succès professionnels ou personnels, son intelligence) est malsain.
J'ai une petite fille de presque 5 ans qui aime les jolies princesses, elle aussi - mais qui sait que ce qui est admirable et qui force le respect chez Belle, chez Elsa, ou chez Raiponce, ce sont leur courage, leur esprit, leur résilience et leur bonté. Des qualités si souvent réservées uniquement aux héros masculins.
Heureusement Disney fait des progrès et crée de plus en plus d'héroïnes qui n'ont plus rien à envier à leur contrepartie masculine. Certaines femmes d'influence pourraient peut-être en prendre de la graine et faire passer à la prochaine génération de petites filles le message qu'elles valent plus, tellement plus que leur apparence. Et que les femmes se doivent d'être solidaires pour combattre ensemble la vision réductrice que la société a si souvent d'elles.
La preuve que le message de Jameela fait mouche dans une mer d'opinions de tous bords? C'est qu'en l'écoutant, on se sent soudain étrangement concerné.
Combien de fois ai-je mesuré ma propre valeur en kilos? Combien d'énergie ai-je mise, pendant des années, à vouloir atteindre un poids rêvé, plutôt que d'investir cette énergie dans ma personne, dans autrui, dans quelque chose qui compte.
Les kilos, surtout ceux en trop, à vrai dire, c'est un sujet qui me pèse depuis bien longtemps. La pensée magique du "quand je pèserai moins, alors je serai heureuse" est une variante de la pensée en échelle qui est particulièrement dangereuse. Devoir viser un idéal en gravissant les échelons sans jamais y arriver, c'est une entreprise déprimante et qui empêche de vivre dans le moment présent et de l'apprécier (mais aussi de s'apprécier) pour ce qu'il est. C'est une pente glissante, à vrai dire, et elle est raide.
Récemment, j'ai donné toute une pile de jeans dans lesquels vraisemblablement je ne rentrerai plus jamais. Après deux grossesses, mes hanches sont plus larges et je me suis rendue compte que garder ces pantalons avec l'espoir de pouvoir rentrer dedans un jour n'était pas très bénéfique pour mon estime de moi-même. De plus, voir ces jeans me donnait toujours l'impression que c'est un but dans la vie de rentrer dans un 38, voire un 36.
Vous avez le droit d'accorder de l'importance à votre apparence physique. Bien sûr! C'est normal après tout de s'intéresser à cette facette de ce qu'est notre personne et il serait naïf de vouloir complètement en faire abstraction. Si la beauté compte pour 10% dans vos priorités, est l'une d'entre 10 priorités sans être LE numéro un, ça peut se comprendre. Comme c'est le cas pour les célébrités masculines, qui elles non plus ne sont pas réduites à un chiffre sur la balance et dont on évoque bien des atouts et des caractéristiques autrement importantes avant de parler de la taille de vêtements qu'ils portent.
Mais il faudrait arrêter de hausser la beauté sur un piédestal, de tout lui sacrifier en bafouant la solidarité, l'honnêteté, l'empathie et la valorisation de ce qui a réellement de l'importance dans une vie et chez une personne. Je crois qu'aucune femme n'aimerait jeter un regard rétrospectif sur la vie qu'elle a menée en se disant avec regret que son existence était exclusivement vouée à cette chose futile et passagère qu'est l'apparence physique.
Mais il faudrait arrêter de hausser la beauté sur un piédestal, de tout lui sacrifier en bafouant la solidarité, l'honnêteté, l'empathie et la valorisation de ce qui a réellement de l'importance dans une vie et chez une personne. Je crois qu'aucune femme n'aimerait jeter un regard rétrospectif sur la vie qu'elle a menée en se disant avec regret que son existence était exclusivement vouée à cette chose futile et passagère qu'est l'apparence physique.